Les 60 ans du Traité de Rome. L’Union Européenne, pour quoi faire ?

Ce 25 mars, nous allons célébrer les 60 ans de la signature du traité de Rome qui a donné naissance au Marché commun, devenu par la suite l’Union Européenne. A quoi sert l’UE ? quel avenir pour cette Union ? quel rôle doit-elle jouer pour faire advenir un monde plus sûr et plus équitable ? Ces questions sont redevenues actuelles, au moment où certaines personnes et certaines forces politiques en divers pays attribuent à l’UE la responsabilité de tous les maux (bouc émissaire) et pensent qu’un repli à l’abri des frontières nationales et d’une souveraineté nationale fantasmée constitue la solution à tous les problèmes.
Dominique Chassard nous présente ici ses réflexions à l’occasion de cet anniversaire du traité de Rome. Parlant du transfert partiel de souveraineté exigé par l’appartenance à l’Union, il situe ce transfert dans la tradition constitutionnelle française. On rappellera que l’enseignement social de l’Eglise prévoit aussi une limitation de la souveraineté nationale lorsqu’il s’agit par-là, d’atteindre un bien commun plus large, celui de l’humanité entière par exemple. Ce souci du bien commun le plus large est traité dans un certain nombre de documents du Magistère, comme l’encyclique Pacem in Terris, le document du Concile Gaudium et Spes, le discours de Jean-Paul II à l’Assemblée Générale des Nations Unies pour la célébration du 50e anniversaire de sa fondation (5 octobre 1995).

 

Union Européenne

 

Il y a 60 ans, le traité de Rome

Le 25 mars 1957, il y a 60 ans, la France, l’Italie et les trois pays du Benelux, signaient à Rome le traité donnant naissance à la Communauté économique européenne. Ils n’imaginaient sans doute pas que la CEE devenue par la suite l’Union européenne rassemblerait, un demi-siècle plus tard, la presque totalité des Etats du continent et apparaîtrait comme l’objectif incontournable des nations de l’Europe orientale et balkanique libérées de l’emprise du totalitarisme communiste. Le club des cinq fondateurs est aujourd’hui une organisation complexe de 28 membres dont la compétence s’étend à tous les domaines de la vie publique.

Cet anniversaire intervient pourtant dans un contexte qui ne lui est guère favorable et les célébrations rituelles qui ne manqueront pas d’avoir lieu auront sans doute du mal à convaincre des opinions publiques de plus en plus sceptiques et critiques. Le marché commun impliquant la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux et pour certains pays la monnaie unique apparaît aujourd’hui à beaucoup comme la porte ouverte à tous les vents et une menace potentielle envers ce qui fonde leur identité. La construction européenne est aussi perçue comme le cheval de Troie d’une mondialisation dont on ne retient que des aspects négatifs et qu’on assimile à une mise en danger des spécificités nationales. Il s’y ajoute le sentiment qu’en s’élargissant, l’Union européenne s’est surtout préoccupée de permettre aux nouveaux membres de s’adapter aux disciplines qu’impliquait leur accession et qu’elle ne s’est pas suffisamment attaquée aux défis majeurs pesant aujourd’hui sur nos sociétés : crise migratoire, lutte contre le terrorisme, réchauffement climatique, transition énergétique, gestion des ressources naturelles. La décision du Royaume-Uni de remettre en cause son adhésion n’arrange évidemment rien et rend la tâche encore plus difficile à ceux qui vont s’efforcer cette année de donner un nouveau souffle à l’Europe en mettant en valeur les acquis de décennies de travail en commun.

Il n’existe cependant pas d’alternative car si l’on peut concevoir qu’un pays soit tenté de fermer ses frontières ou de protéger son marché de la concurrence extérieure, aucun des enjeux auxquels le monde est aujourd’hui confronté ne peut trouver de réponse sans une coopération internationale. Imagine-t-on combattre la pollution atmosphérique ou la hausse du niveau des océans en prenant des mesures sur un plan national et en espérant que le voisin suivra l’exemple ? Luttera-t-on contre les sources du terrorisme ou les causes des mouvements migratoires en se barricadant chez soi ? Relancera-t-on la croissance en imposant des droits de douane sur les produits importés et en mettant des obstacles à l’investissement étranger ? La manière dont l’Union européenne s’est construite et élargie peut, certes, être l’objet de critiques justifiées mais tourner le dos à Bruxelles serait une folie ou au mieux un coup d’épée dans l’eau qui ne ferait, de surcroît, qu’affaiblir et décrédibiliser le rôle de la France en Europe et dans le monde au profit de ses principaux voisins et partenaires.

Le choix porte en réalité sur la méthode permettant d’assumer la responsabilité et la solidarité qui incombent à chaque Etat vis à vis des autres membres de la communauté internationale. Ou l’on érige en dogme le principe de souveraineté nationale en n’en acceptant des corrections que sur une base ponctuelle et dans les limites d’une réciprocité intransigeante et en se réservant le droit de revenir à tout moment sur les engagements pris si l’on considère qu’ils portent atteinte à l’indépendance nationale. C’est une option qui conduit à d’interminables et incessantes négociations et marchandages et empêche toute politique fondée sur la durée. Elle rend d’autant plus malaisée la prise de décisions communes puisque chacun doit y avoir expressément souscrit et qu’il y a donc nécessité de réunir l’unanimité des parties prenantes.
L’autre option consiste à reconnaître que dans un monde de moins en moins fragmenté d’où émerge la prise de conscience d’une globalité croissante des menaces pesant sur l’avenir de la planète, il est impératif de poser des limites au principe de souveraineté nationale et de ne pas chercher à faire seul ce qui n’a de chance de réussir que par des actions communes où chacun doit éventuellement accepter des contraintes décidées par une majorité.

La communauté internationale ne paraît pas prête aujourd’hui à s’engager plus avant dans cette voie qui suppose de renoncer à la règle d’or du consensus, variante sémantique de l’unanimité mais il existe d’autres cadres géographiquement plus limités où il est possible d’avancer. L’Europe en est un et l’anniversaire de la signature du traité de Rome pourrait offrir l’occasion de mettre l’accent sur la nécessité de passer à un stade plus intégré de la construction européenne. Le calendrier politique ne s’y prête guère avec des élections incertaines dans les deux pays les plus à même d’entraîner leurs partenaires mais il serait regrettable que l’on se contente de vœux pieux sur l’importance de serrer les rangs dans les circonstances actuelles et de rappels lénifiants sur le chemin parcouru depuis 1957. Suggérer d’avancer à plusieurs, à défaut de pouvoir le faire avec tous revient périodiquement dans la bouche de certains dirigeants et on voit à nouveau l’idée des « coopérations renforcées » ou de « l’Europe à deux vitesses » refaire surface. C’est une manière de donner l’impression de relancer la machine, encore qu’à minima, mais prôner l’Europe à la carte a relevé jusqu’à présent plus d’une rhétorique développée à chaque fois que les pays de l’Union sont dans une situation de blocage que d’une alternative crédible. On invoque parfois comme précédent l’accord de Schengen ou la monnaie unique mais ni l’un ni l’autre ne semblent avoir convaincu qu’ils répondaient toujours aux attentes qui leur ont donné naissance.

La constitution de 1958 ne s’oppose pas à des transferts de souveraineté. Le texte se réfère au préambule de celui de 1946 qui précise que «la France, sous réserve de réciprocité, consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». La formulation est, certes, assez réductrice puisqu’elle semble viser surtout la participation à une alliance militaire. Mais un titre XV intitulé « De l’Union européenne » a été ajouté ultérieurement. Son article 88-1 prévoit que «la République participe à l’Union européenne » et la définit comme une réunion d’Etats « qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne ». L’article 88-4 fixe, en outre, la procédure permettant de soumettre au Parlement les projets d’actes législatifs européens. Le problème n’est donc pas juridique mais essentiellement de nature politique. Affirmer d’un côté que les questions mettant en jeu l’avenir ne peuvent trouver de réponse que par une action et une discipline collectives et, de l’autre, se faire l’avocat d’un repli sur l’indépendance et le protectionnisme national et d’une remise en cause des institutions européennes est une contradiction et une absurdité. Il est à souhaiter que ce 60ème anniversaire permette de le rappeler aux opinions publiques.

Dominique Chassard
Mars 2017

 

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