La paroisse de Mongo en Guinée-Conakry

Vincent Sibout a longtemps travaillé au Secours Catholique, dans le secteur de la solidarité internationale. Il s’est rendu récemment en Guinée rendre visite à son frère spiritain, en mission dans le pays. Voici un récit de ses impressions.

J’ai participé à un voyage en Guinée-Conakry en février 2017. Chance extraordinaire et grande joie…

I- Le contexte national : carte de visite et son revers

Guinee_KankanLa Guinée : 246.000 km2 (la moitié de la surface de la France) et 12,9 millions d’habitants, dont 37% en milieu urbain, avec environ 2,5 millions d’habitants à Conakry, presqu’île – bande de terre de 1 à 5km sur près de 40km, transformée de plus souvent en embouteillage gigantesque, soumise à des coupures d’eau et d’électricité et envahies de monticules d’ordures.

La volonté d’indépendance et le retrait brutal de la France (02 octobre 1958) ont conduit le pays à subir des régimes forts : Sékou Touré (1958/1984), Lanssana Conté (1984/2008) et Dadis Camara (2008/2010). Alpha Condé a été élu ‘démocratiquement’ fin 2010, et réélu en 2015 (pour 5 ans). Des élections locales (reportées plusieurs fois) sont prévues ‘en 2017’ et l’on peut voir quelques affiches de la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Le poids de ce passé socio-politique reste très lourd et handicape le développement du pays.

Le sous-sol est bien doté, notamment en bauxite (1er rang mondial pour les réserves ; et 2ème pays producteur, notamment par des compagnies chinoises, russes (avec projet de relancer en 2018 l’unique raffinerie de Fria transformant la bauxite en alumine, arrêtée depuis fin 2011), émirati et français ; or et diamant ; et une très importante réserve de fer. Indice de pétrole en offshore.

Le pays bénéficie de plusieurs zones climatiques (humide ; tempérée ; tropicale ; subéquatoriale) et donc de très bonnes potentialités agricoles : riz, maïs, coton, toutes sortes de légumes et d’arbres fruitiers, palmiers à huile, cocotiers, caféiers et cacaoyers, sans oublier la pêche (océanique et fluviale) et l’élevage (bovins, caprins, …). La région du ‘Fouta Djalon’ est parfois qualifiée de ‘château d’eau’ de l’Afrique de l’Ouest (avec notamment les sources du Sénégal, de la Gambie, du Niger, …). L’environnement se dégrade progressivement avec la persistance des ‘feux de brousse’ (bien qu’interdits), et de sévères coupes de bois, d’une part pour la production de charbon de bois (très recherché, faute d’autre politique énergétique) et de bois d’œuvre (théoriquement pour le marché local, n’apparaissant pas sur la liste des produits exportés, ce que d’aucuns doutent).

Piste en Guinée forestière, saison sèche

Piste en Guinée forestière, saison sèche

Pourtant, malgré ses atouts, le pays ne couvre pas tous ses besoins alimentaires (importation de riz et de pratiquement tous les produits transformés comme les sardines à l’huile, le concentré de tomate, etc) et présente un panorama désenchanteur. Selon le PNUD, la Guinée est classée 182ème (sur 188 pays) pour l’IDH (Indice de développement humain, plus pertinent que le PIB ou le PIB par tête). L’économie est en très grande partie informelle, si bien que les ressources de l’État sont très faibles. Par exemple, le Budget 2017 est arrêté à 15.000 milliards Francs guinéens, soit 1,5 milliards d’Euros. Pour l’ONG ‘Transparency International’, la Guinée est classée 142ème (sur 176 pays) en matière de perception de la corruption. Il s’en suit investissements ‘parachutés’ (en fonction des subventions ou prêts obtenus), des infrastructures insuffisantes et peu entretenues (comme l’axe routier ‘stratégique’ Conakry – Mamou supportant tout le trafic à la fois vers la Guinée forestière et le Mali), et une sous-administration, notamment en matière de services de base (santé ; éducation ; …). Ces dernières années, la croissance économique s’est révélée faible (1% en 2014 ; 0% en 2015) par rapport à une croissance démographique de 2,5% (soit un doublement tous les 20 ans, et cela malgré une espérance de vie de seulement 50 ans). Les Guinéens s’appauvrissent (sauf l’élite, à voir les belles demeures, les grosses cylindrées, les nouveaux centres commerciaux ‘ghettoïsés’, …). Peu de chiffres existent, mais l’émigration de jeunes semble non négligeable

Le niveau scolaire semble très modeste (comme nous avons pu nous en apercevoir en essayant d’échanger avec des collégiens et lycéens). Dans les villes, et à Conakry tout particulièrement, l’enseignement privé (et donc payant) a pris une grande place, voire toute la place. Dans le ‘public’, de nombreux postes ne semblent pas pourvus, et lorsqu’ils le sont, l’absentéisme frappe. Un mouvement de grève s’est amorcé lors de notre départ.

Religieuse responsable d'un dispensaire à Guékédou (diocèse de Kankan)

Religieuse responsable d’un dispensaire à Guékédou (diocèse de Kankan)

Côté ‘Santé’, notre impression est similaire : des infrastructures en nombre insuffisant, peu entretenues et peu approvisionnées ; un personnel, lorsqu’il est présent, oublié par le ‘pouvoir central’ ; peu de prévention ; peu de supervision (vente ‘par terre’ de médicaments importés aux origines douteuses) ; une privatisation croissante …

Selon plusieurs sources (dont l’UNICEF), la Guinée est le 2ème pays au monde (après la Somalie) où l’excision est pratiquée (jusqu’à 96% des filles ?), même si la Constitution et le Code de l’enfant guinéen interdisent et criminalisent cette pratique. De grandes pancartes le long des routes relaient des slogans tel « Pour sa santé, pour son bien-être, ma fille ne sera jamais excisée » mais leur impact est sans doute modeste. Perdure sans doute le mariage précoce et forcé, même si l’âge légal du mariage est maintenant fixé à 18 ans (Code pénal).

Mais la Guinée a surtout été marquée et endeuillée par ‘Ebola’ qui a frappé le pays, la Sierra Léone et le Libéria durant 2 pleines années (décembre 2013 / décembre 2015). Officiellement en Guinée, le bilan a été de 2.706 cas et 1.808 décès. Mais la crise a très certainement indirectement tué bien plus (par fermeture des centres de santé, par peur, par confinement, …), a réduit la croissance économique, a accentué la déscolarisation, …. Le livre récent « Les forêts profondes » (Adrien Absolu, Ed. JCl. Lattés), fort bien documenté, explique bien les complexités de l’irruption de ce virus tueur dans le contexte guinéen et la lutte menée.

II- L’Eglise de Guinée : contexte

Célébration à St. Louis, hameau de la paroisse de Mongo

Célébration à St. Louis, hameau de la paroisse de Mongo

Comme dans d’autres pays du continent, quand on vient d’une Europe vaguement sécularisée, on ne peut qu’être frappé par le nombre de références visuelles à Dieu un peu partout : tel groupe scolaire « à la Grâce divine » ; tel magasin « Dieux est grand » (sic) ; tel camion «  Dieu merci », etc. ainsi que lors de conversations. Célébrer Dieu de façon communautaire, surtout quand on fait 10 km à pieds (et autant pour le retour) est sans lien avec la montre, comme ce dimanche 22 janvier, où la (1ère) ‘messe d’action de grâce’ de l’abbé Maurice Kamano, enfant du pays, a duré 4h ….

Selon les statistiques le plus souvent citées (à prendre avec prudence), la population se répartit en 85% de musulmans, 8% de chrétiens et 7% ‘autres’ (sans doute ‘religions traditionnelles’).

Bien sûr, si l’Église catholique est l’entité la plus structurée, il y a le choix pour d’autres ‘chapelles’ (‘protestants’ ; néo-apostoliques ; évangéliques…).

Pour l’Église catholique, il y a aujourd’hui un archevêché (Conakry) et deux diocèses (Kankan et Nzérékoré). Kankan a longtemps été ‘préfecture apostolique’ (sous l’égide de Conakry).

Le diocèse de Kankan (qui correspond grosso-modo à la Région administrative de Haute Guinée et un petit morceau de la Région ‘Guinée forestière’) a environ 2,6% de chrétiens pour 2 millions d’habitants. A sa tête, depuis 2007, Mgr. Emmanuel Félémou, secondé (à partir de ce 26 février 2017), d’un ‘évêque auxiliaire’, Mgr. Alexis Taflino). Une quarantaine de prêtres (dont plusieurs, en formation ou en poste à l’extérieur) et religieux.

Sur le diocèse, il y a 20 paroisses, dont Mongo, complètement au Sud du diocèse. A quasiment 700 km de Conakry centre … et 15h de véhicule.

III-  La paroisse de Mongo

Bernard, un forgeron, handicapé, son installation a été aidée par la mission catholique

Bernard, forgeron handicapé, a bénéficié de l’aide de la mission catholique pour s’installer

Après Broadrou (1903), c’est la seconde paroisse créée par les Spiritains (1910), sous l’égide de St. Michel. A noter que deux spiritains y sont enterrés (l’un décédé d’une ‘fièvre mystérieuse’ en 1920, l’autre blessé malencontreusement par un cheval), alors que jusqu’à aujourd’hui aucune Congrégation de religieuses n’a envisagé de venir s’y implanter. Après une ‘fermeture’ d’une trentaine d’années (correspondant aux sombres années ‘Sékou Touré’ et suivantes), en 1996, la Paroisse correspondait géographiquement à la zone dit « Bec de perroquet » (pour environ 56.000 habitants). Depuis, à mesure de l’émergence de vocations diocésaines, elle a été ‘démembrée’ à 3 reprises, mais conserve encore un territoire densément peuplé et enclavé, sans aucun tronçon d’asphalte et avec de nombreux passages de ‘bas-fonds’ et rivières (Walli, Mafissa, Makona), rendus aléatoires dès que les pluies surviennent.

La paroisse comprend sur 3 zones géographiques, 7 ‘Communautés’ (chacune dotée d’un catéchiste) chacune comprenant plusieurs ‘CEB’ (communauté ecclésiale de base).

Elle est dotée d’un Conseil paroissial pastoral, d’un Conseil paroissial des affaires économiques et d’une Commission ‘Justice, Paix et Réconciliation’.

Mongo n’est qu’un village, avec différents quartiers (Mongo centre, Mongotié, Pakédou, …) et son modeste marché hebdomadaire (le vendredi), alors qu’à quelques kilomètres, la sous-préfecture, Temessadou, est plus importante (avec éclairage public solaire ; bientôt un lycée ; …). A noter qu’en 1910, à l’arrivée des spiritains, les administrateurs coloniaux – comme souvent – n’ont pas autorisé l’installation de ‘missions’ à leur côté.

L’église, sur un promontoire, est relativement imposante, avec une bombonne de gaz déclassée en guise de cloche (appelant à la messe ou à l’office à 06h00 puis 06h30, en semaine, et 10h00 le dimanche). Et, derrière, le presbytère, beau bâtiment en briques (et maintenant doté d’énergie solaire). A l’origine, un terrain de 25ha avait été attribué (avec 4.000 caféiers, 7 à 800 kolatiers, etc), aujourd’hui, nettement plus réduit.

Affiche de conseils '"anti-Ebola"

Affiche de conseils ‘ »anti-Ebola »

Dans la plaquette publiée pour le centenaire de la paroisse, Sylvain Kamano décrit sa terre natale de façon poétique et enchanteresse, sous le titre « Mongo, mon village » : «  … Mongo, coquette citée dressée sur la crête de Saoulé … Mongo, modèle d’amour, de courage et de fierté foncière, flambeau ardent de liberté, de justice et de solidarité … Mongo est une promesse, une allure, un avenir radieux … Mongo, c’est encore le rire étincelant des femmes et filles charmantes, Mongo, c’est aussi le tintamarre du marché et la marée des fruits aux couleurs éclatantes, … Mongo, c’est aussi le vacarme des troupeaux et le piaillement des tisserins dans les feuillages … Mongo, c’est tout ce qui berce le cœur, émerveille le regard et ennoblit l’homme … ».

Oui, Mongo, c’est tout cela et c’est plus encore … Ses pistes poussiéreuses, son antenne téléphonique (érigée il y a 2 ans seulement), sa petite mosquée sans minaret, ses ordures jetées négligemment un peu partout, ses ‘clandos’ (bars où coule trop généreusement le ‘balouan’ ou ‘vin de palme’ alcoolisé entre 4° et 6°), le mouvement incessant des motos-taxis (chinoises), ses quelques artisans à l’outillage des plus rudimentaires mais savamment manié, …

La zone est 100% rurale. Pour faire face aux dépenses ‘courantes’, les familles vendent au gré des marchés et des récoltes du café, de l’huile de palme, des poules, des colas, … Parmi les paroissiens, il y a quelques fonctionnaires ou militaires à la retraite revenus ‘au village’.

"Jardin d'enfants", village de Kindia

« Jardin d’enfants », village de Kindia

En matière de « promotion humaine », les priorités actuelles de la Paroisse sont :

  • Les écoles maternelles, dites « bambinos » (à partir de 3 ans, avant que les enfants puissent aller dans les écoles primaires publiques, parfois à plusieurs km de chez eux). Il en existe 7 actuellement. Sous paillotes pour démarrer, puis en dur (avec bloc WC).
  • L’aménagement de sources villageoises, pour améliorer l’hygiène et la gestion des points d’eau (avec la constitution de comités),
  • L’aménagement de bas-fonds collectifs pour ajuster au mieux la planification et le réseau principal d’irrigation (afin d’optimiser la culture du riz et autres cultures)
  • L’appui (coup-de-pouce) pour le démarrage d’activités génératrices de revenus (notamment la production de savon à base d’huile de palme), pour des groupes de femmes.

IV- « Mongo est une promesse … »

La Guinée et Mongo, c’est toutes ces informations chiffrées, historiques, … mais c’est surtout une population ! Et, pour des Européens comme nous le sommes, un tel séjour est vraiment une école, une « université », à plus d’un titre. Et, en adaptant une expression de bienvenue entendue plusieurs fois, « les mots manquent pour dire tout ce que nous avons dans le cœur » d’avoir été ‘en initiation’ (à l’image des jeunes du pays passant de l’enfance à l’adolescence).

École d’accueil et de générosité. La rencontre humaine prime sur tout. Quitte à différer son programme prévu, il faut absolument venir saluer ‘l’étranger’, il faut l’accueillir (« Y’a le logement » nous disait-on pour nous dire de rentrer, ne serait-ce que quelques instants). Il faut ‘cadeauter’, surtout celui qui est venu de loin.

Vincent Sibout entouré enfants CVAV (Cœurs vaillants)

Vincent Sibout entouré d’enfants CVAV (Cœurs vaillants)

École de patience. La montre est quasi inutile. Le rythme est fonction du soleil, des pluies, des décès, … Les imprévus sont multiples, les retards tout aussi nombreux (et acceptés ‘naturellement’).

École de courage. Marcher sous le soleil ou dans la nuit, dans la poussière ; se déplacer à pieds ou à 3 ou 4 sur une moto pour chercher à se faire soigner ; effectuer les différentes étapes dont certaines sont harassantes, pour passer des régimes de palmistes à l’huile de palme de façon la plus artisanale ; … Rien ne semble pouvoir arrêter les villageois !

École de sobriété. Il faut se contenter de ce qu’il y a, et parfois, il y a quasiment rien, ou d’un autre âge (comme certains taxis et bus !). Que ce soit à l’intérieur des maisons, qu’au niveau communautaire. Bien sûr, on peut se demander, est-ce de l’acceptation ou de la soumission ?

École de vitalité. La vie qui vient de Dieu y retourne. Elle est parfois retirée subitement, accidentellement (le feu, la maladie, la sécheresse, etc) … Mais dans le même temps, la vie est prodigue, prodigieuse, démultipliée, … Quitte à faire appel parfois à des stimulants (alcool, …). Et parfois, à nous, cela peut nous sembler exagéré, mal utilisé, gaspillé, dangereux.

École de joie. Malgré toutes les difficultés et la frugalité matérielle, tout est prétexte à rire, à sourire …

Aller en Guinée, aller à Mongo, ça vous arrivera … peut-être. On n’en revient pas indemne. Secoué, enrichi, humble. Cela ne s’oublie pas.

Vincent Sibout
février 2017